Le Fluink
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Deux mondes séparés par un fleuve d'encre, voilà le point de départ plutôt étonnant de cette BD sobrement intitulée Le Fluink.

D'un côté du Fluink, les Schwarzs, un peuple noir sur fond blanc qui vit sans véritable chef. Sur l'autre bord, les Pâals, des êtres blancs sur fond noir qui subissent une sévère dictature. Un fleuve d'encre sépare les deux civilisations. C'est le Fluink, une matière étrange qui peut être fluide ou visqueuse, solide ou gazeuse, et dont l'état varie constamment.
Selon la physique de cet univers, un objet lancé dans le Fluink remonte à sa surface. Aussi, lorsque le Préfectal des Pâals décide de faire construire d'immenses tours pour assouvir sa soif de grandeur, les gravats jetés dans le Fluink finissent par aboutir chez les Schwarzs. C'est le premier contact.
Alors que de sombres complots se trament dans les deux camps, l'équilibre de l'univers risque à tout instant d'être rompu. De chaque côté, quelques individus vont tenter d'empêcher l'anéantissement total de deux mondes qui n'étaient pas faits pour se rencontrer...

Le Fluink est en fait l'œuvre du collectif Enfin Libre, terme un peu mystérieux qui cache en fait Philippe Renaut, au scénario, et David Barou, qui réalise les dessins. Difficile pourtant ici de séparer franchement l'histoire en elle-même de sa représentation graphique tant les deux sont liées.
Le récit se déroule sur une espèce d'immense fresque, sans case ni séparation nette dans la représentation de l'action. Cette façon de procéder aboutit à une sorte de fusion du temps et de l'espace, le lecteur embrassant toute la planche dès le premier regard mais étant obligé d'effectuer quelques petits allers-retours inhabituels. Les pages sont séparées par le fameux fleuve noir et l'action se déroule simultanément en bas et en haut de cette frontière poreuse. L'une des grandes idées des auteurs est de faire interagir ces deux mondes en permettant quelques "traversées" qui peuvent avoir des conséquences désastreuses.

Le dessin est très particulier. Il peut paraître simple, avec des décors et personnages réduits au minimum, mais il se révèle en fait d'une grande complexité, l'illustrateur réussissant à donner vie à cet univers en jouant uniquement sur le contraste et les formes (alors que beaucoup n'y arrivent pas alors qu'ils utilisent des couleurs et qu'ils peuvent détailler l'intérieur des personnages ou objets !).
Ce style original permet au final de mettre en place une narration totalement innovante et, avouons-le, captivante. Car, sous un aspect naïf et amusant, ces petits êtres immaculés ou gavés d'encre cachent finalement bien des surprises et de nombreux défauts. Convoitise, trahison, quête insensée sont au menu. Le tout légèrement parsemé de quelques allusions sympathiques à Hergé ou Tolkien.
Bref, nous voilà devant un bouquin totalement improbable mais conçu avec une immense virtuosité.

La BD, au format à l'italienne, date de 2006 et a été publiée par Le Cycliste, une maison qui n'existe plus aujourd'hui. L'ouvrage est toutefois encore facilement trouvable à des prix raisonnable.

Une autre manière de raconter et de se servir de l'encre et du papier.
Beau et bluffant.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une technique narrative totalement innovante.
  • Un style graphique qui constitue en soi une prouesse technique.
  • Un propos à la fois poétique et profond.

  • RAS.