La Parenthèse de Virgul #13
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Pour aujourd'hui les matous, on fait une petite mise au point sur un concept bien trop galvaudé de nos jours. Quitte à énerver tout le monde.

Vous avez dit "spoiler" ?
Alors, un spoiler, comme son nom l’indique, c’est un élément crucial d’un récit qui, une fois dévoilé, le gâche complètement. Ça rend sa lecture ou son visionnage quasiment inutile. Autant dire que les vrais spoilers sont très rares. Par exemple, si je vous dis que Bruce Willis est un fantôme dans le film Sixième Sens, là, OK, c’est un spoiler, ça fout en l'air tout le mécanisme du film. Pareil pour un whodunit, en polar, où la recherche du « coupable » est un élément central.
Le reste, c’est juste de l’info, plus ou moins banale.
Par exemple, en roman, ce n’est pas possible de spoiler Le Seigneur des Anneaux. On se doute de la fin dès le début. Ce n’est pas ça l’important.
Il est rigoureusement impossible de « spoiler » la plupart des romans, BD ou films. Parce que l’intérêt d’une histoire vient de la manière de la raconter, de ce que l’on éprouve en s’attachant aux personnages, et non pas des simples faits.
Si je vous dis que maître Martinaud est innocent, dans Garde à Vue, ça ne gâche pas ce huis clos non plus. Ça ne le gâche d’ailleurs pas au point qu’on peut regarder ce film plusieurs fois avec le même plaisir.
De la même manière, des tas de gens sont allés voir le Titanic de Cameron, alors que tout est évident dès le départ. À moins d’être totalement ignare, on sait que le bateau va couler, et à moins d’avoir huit ans ou de voir pour la première fois un drame sentimental, on sait très bien que Rose et Jack vont tomber amoureux, que Caledon va bien les emmerder, et qu’au moins un des deux va y passer. On sait tout ça dès le premier quart d’heure, et le film, qui dure plus de trois heures, n’est en rien gâché.
Malgré tout, "Spoiler" est devenu synonyme d’info, et du coup, on a l’impression qu’il faut bannir l’info du moindre article. Nous-mêmes, sur UMAC, cédons trop facilement à cette mode idiote en multipliant les avertissements inutiles.

Du coup, nous allons établir une échelle, qui va simplifier, au moins chez nous, ce « rapport au spoiler ». Et comme on aime bien les acronymes, on lui a donné le doux nom d’ERIS, ou Échelle Raisonnée de l’Information et du Spoiler.
En voici les niveaux :
Niveau 0 (zone bleue) : Aucune information n’est donnée, le rédacteur de l’article réussit l’exploit de parler d’un sujet sans en parler. Ou presque.
Niveau 1 (zone verte) : Information totalement anecdotique (exemple : Bruce Wayne boit un jus d’ananas dans le dernier Batman).
Niveau 2 (zone jaune) : Information réelle mais ne gâchant absolument pas l’intrigue, soit parce que l’information dévoile un élément attendu (exemple : les gentils gagnent à la fin), soit parce que l’information ne remet nullement en cause le récit, basé sur bien d’autres choses qu’un simple élément factuel (exemple : la Mariée tue ses anciens complices dans Kill Bill, ça n’enlève rien du tout au film, on sait déjà, dès le début, qu’elle va les buter).
Niveau 3 (zone orange) : Information ne gâchant pas réellement le récit mais dévoilant tout de même un élément important (exemple : Dark Vador est le père de Luke Skywalker, là, c’est quand même mieux de le découvrir en visionnant le film).
Niveau 4 (zone rouge) : Spoiler réel, information si importante qu’elle gâche totalement la découverte de l’intrigue (exemple : Bruce Willis est un fantôme dans Sixième Sens).

Nous préviendrons donc systématiquement, comme nous l’avons toujours fait, en cas de véritables spoilers niveau 4 (bien que l’on évite en général de donner ce genre d’information, sauf dans de rares analyses, longtemps après la publication de l’œuvre, cf. la partie sur Rorschach dans le dossier Watchmen).
Par courtoisie, nous prévenons aussi en cas de spoiler niveau 3 (car l’on peut parfaitement comprendre la gêne occasionnée).
Par contre, le reste, ce n’est EN RIEN du spoiler. Surtout quand il s'agit de films qui sont convenus au possible et suivent un schéma qui permet d’en déterminer le déroulement et la fin après cinq minutes de visionnage. Dans une comédie française par exemple, en général financée sur le casting et non le scénario, si vous avez un personnage A qui a des difficultés à draguer un personnage B, vous savez que A va galérer, trouver un moyen de conquérir B, moyen impliquant un mensonge ou un acte négatif, mensonge ou acte que B va découvrir, ce qui occasionnera une rupture, puis la remise en cause de A, qui, changé et plus sage, revient vers B qui, constatant sa métamorphose et sa sincérité, accepte de lui pardonner. Ça, c’est 99 % des comédies, il n'y a donc rien à spoiler, ou alors, dites-vous que la simple affiche vous spoile déjà l'ensemble du truc.
Quant aux intégristes du spoiler, qui ne supportent pas d'avoir la moindre info sur un livre ou un film, suivez ce sage conseil de félin futé : évitez de lire des articles ou regarder des vidéos qui s'y rapportent, ça vous évitera de venir vous plaindre ensuite.
Miaw !

Attention, un fantôme est caché dans cette scène. Seras-tu assez futé pour découvrir Bruce Willis ?
Indice : il ne porte pas de jupe.