En 1999, une poignée d'auteurs décident de relancer la
Justice Society of America, une équipe datant des années 40 et regroupant des seconds couteaux, largement dépassés par la fameuse Justice League et ses têtes d'affiche. Alors que les pontes de DC Comics étaient pour le moins prudents par rapport à ce projet, ce dernier va devenir un véritable succès. C'est cette longue saga, aujourd'hui rééditée par
Urban Comics dans sa collection Chronicles, que nous allons aborder ici.
Si ce sont James Robinson et David S. Goyer qui vont scénariser les premiers épisodes du titre JSA, d'autres auteurs vont leur prêter main-forte, notamment sur la longue introduction qui précèdera le lancement du titre phare. En effet, l'éditeur a publié, à l'époque, de nouveaux numéros d'anciens titres des années 40 (All Star Comics, Adventure Comics, Sensation Comics, Thrilling Comics...) afin de présenter les membres de l'équipe originelle. L'on retrouve ainsi Ron Marz, Mark Waid ou même un Geoff Johns débutant au sommaire de l'imposant premier tome de JSA Chronicles.
En ce qui concerne les dessins, ils sont signés Stephen Sadowski (qui se charge des premiers épisodes de JSA), Derec Aucoin, Aaron Lopresti, Peter Snejbjerg ou encore Scott Benefiel.
Les vraix-faux anciens titres donnent le ton et font monter doucement l'intérêt du lecteur jusqu'à la création de la nouvelle équipe (qui n'intervient qu'après quelques numéros de JSA). Cette dernière va regrouper à la fois des vétérans et de nouveaux héros, ayant tous un lien avec les membres originels, ce qui va dévoiler la grosse thématique de fond : la transmission, l'héritage, bref, comment se débrouiller pour honorer ce qui est légué par un respectable ancêtre tout en arpentant son propre chemin. Tout cela constitue un curieux (mais agréable) mélange entre un ton presque amateur dans l'âme et un savoir-faire terriblement efficace. Et pour bien commencer, le groupe nouvellement formé va devoir affronter une menace sérieuse en la personne du Seigneur des Ténèbres, qui convoite de puissants artefacts.

Dès les premières pages, le ton est donné. Sur le fond, nous sommes en présence d'un récit super-héroïque très
classique. La forme, elle, est par contre résolument
moderne, les auteurs parvenant sans peine à rendre la narration et les dialogues particulièrement fluides et percutants. La série vise donc des lecteurs souhaitant baigner dans une atmosphère "old school" tout en évitant les lourdeurs et le côté désuet des premiers comics. Sur le plan graphique, là encore c'est une réussite, avec un style brut mais efficace, des costumes à la fois kitsch et iconiques, quelques pleines pages à l'esthétisme certain et des plans variés et maîtrisés. La colorisation, plutôt réussie dans l'ensemble, évite un aspect trop flashy grâce à un papier mat de bon aloi.
C'est efficace, c'est joli, mais est-ce accessible ? C'est souvent la grande question. Eh bien... oui et non. Comme toujours dans les univers partagés possédant une longue continuité, des détails et références échapperont aux néophytes, voire même aux passionnés. Si certains personnages auront au moins une résonnance familière pour le lecteur (le premier Green Lantern appelé dorénavant Sentinel, Flash version Jay Garrick, Wonder Woman (mais pas Diana), une jeune Hawkgirl...), d'autres laisseront sans doute sceptiques les moins assidus (Hourman, Wildcat, Fate, Docteur Mid-Nite, le Spectre, Sand, Extant, Obsidian...). Ce n'est pas bien grave car, de toute façon, il est impossible de tout connaître lorsque l'on a affaire, comme c'est le cas ici, à un univers éditorial comprenant des centaines de séries, publiées depuis des décennies. Il faut prendre le train en marche et découvrir peu à peu ses wagons et ses passagers. Au bout d'un moment, ils vous seront familiers.
Heureusement, les auteurs ont prévu le coup et plusieurs épisodes spéciaux regorgent d'informations utiles. Le
JSA Secret Files & Origins va notamment proposer des fiches de personnages très complètes, une chronologie liée à la Société de Justice et même un plan détaillé de son quartier général. Cela ne dissipera sans doute pas tous les pans de brume, mais ces infos sont un vrai plus pour s'immerger dans cet univers. Notons que par la suite, des super-héros bien connus feront des apparitions dans la série ou certains épisodes spéciaux.
Urban complète ces récits par un contenu rédactionnel diversifié, mélangeant anecdotes des auteurs et explications de l'éditeur. Notons tout de même la présence de quelques coquilles et fautes qui, sur la longueur, sont un peu dérangeantes. On a connu Urban plus efficace et rigoureux.
Ce jeu d'équilibre entre anciens et nouveaux héros, entre passé et présent, entre intrigues classiques et mise en forme moderne, entre comic
naïf et "roman graphique" plus
rugueux, constitue donc le cœur de cette JSA de la toute fin du XXe siècle. Les personnages sont ici loin des sagas désabusées et sombres lancées par
Watchmen et
Dark Knight Returns, mais ils ont des failles, un passé parfois lourd et quelques larmes à dissimuler. Si vous voulez un bon gros "blockbuster", ce n'est pas cette série qu'il vous faut. Si vous souhaitez par contre retrouver un parfum presque oublié, fait de mystères enfantins et de manichéisme rassurant, le tout magnifié et rendu plus subtil par l'intégration d'une thématique mature aux déclinaisons multiples, alors vous pourriez bien tomber sous le charme de ces héros et vilains, sublimant leur condition pour atteindre une certaine forme d'universalité.
Une lecture hors du temps, puisant aux sources même du concept de super-héroïsme et alliant une naïveté empreinte de nostalgie et une profondeur habilement dissimulée sous les gnons habituels.
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Les points positifs |
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Les points négatifs |
- Des personnages fascinants et plus complexes qu'on pourrait le penser.
- Une narration efficace et rythmée.
- Une ambiance graphique qui, sans en mettre constamment plein la vue, sert parfaitement le propos.
- Des infos utiles disséminées entre les épisodes ou au sein des épisodes spéciaux.
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- Nécessite un effort de la part du lecteur pour parvenir à comprendre qui est qui, ce qui est le lot de toutes les séries de ce genre.
- Une introduction tout de même très longue.
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